Frédéric Duquenne Un tout petit monde volume 1 : Les notables de la ville de Douai du règne de Philippe II à la conquête française 2011 - Douai - C38* E

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Descriptif

Thèse de Doctorat

Duquenne Frédéric, Un tout petit monde. Les notables de Douai du règne de Philippe II à la conquête française. Pouvoir, réseaux et reproduction sociale. Thèse présentée en vue de l’obtention du doctorat de l’Université de Lille 3 le 28 octobre 2011

Le jury était composé de M. Alain Lottin (professeur émérite en histoire moderne, Université d’Artois), président, M. Philippe Guignet (professeur en histoire moderne, Université de Lille 3), directeur de thèse, M. Michel Cassan (professeur d’histoire, Université de Poitiers), rapporteur, M. Guy Saupin (professeur en histoire moderne, Université de Nantes), rapporteur, Mme Catherine Denys (professeur en histoire moderne, Université de Lille 3) et M. René Vermeir (professeur d’histoire, Université de Gand).

Présentation par l’auteur

M. Duquenne commence son exposé en rappelant les objectifs de sa recherche. En étudiant les notables de la ville de Douai du milieu du xvie siècle à la conquête française, il s’agissait de comprendre comment un groupe d’individus disposant du pouvoir à l’échelle locale s’intégrait dans un espace plus vaste, celui de la monarchie espagnole.

La composition, la reproduction et le renouvellement des hommes au pouvoir ont été au centre de la réflexion. Ces thématiques classiques des sciences sociales ont été renouvelées par la sociologie des « réseaux relationnels » dont les apports sont cependant délicats à utiliser en histoire du fait des sources disponibles et de la dimension chronologique. C’est le désir de replacer les membres de l’élite dans leur environnement relationnel qui a guidé la démarche de l’auteur. La ville de Douai dispose, en effet, d’archives anciennes d’une qualité exceptionnelle, tant par la masse des documents issus de l’administration municipale que par l’ampleur des contrats privés passés par les habitants. La reconstitution du milieu familial et son impact sur l’accès à l’échevinage sont ainsi la pièce maîtresse de la thèse.

Douai était au milieu du xvie siècle une ville moyenne qui vivait du commerce des grains et dont la population oscillait entre 10 000 et 15 000 habitants. Située à la frontière de trois provinces, la ville était insérée dans un dense réseau urbain, à moins d’une journée de marche de cinq villes de taille similaire ou plus importantes qu’elle. Dans ce réseau, Douai ne disposait d’aucune fonction polarisante. Elle n’était pas le siège d’un évêché, d’une chambre des comptes, d’une cour de justice ou d’un gouvernorat. Seule l’université, inaugurée en 1562, lui donnait un peu de rayonnement. Philippe II d’Espagne avait fondé cette université pour en faire un fer de lance contre le protestantisme. Douai avait été choisie car elle disposait de l’espace nécessaire pour abriter la nouvelle institution, mais aussi parce qu’il s’agissait d’une ville fidèle au roi, son seigneur naturel, et au catholicisme, la religion de la tradition. Cette fidélité était un trait caractéristique de l’histoire de Douai. Depuis le xive siècle, aucune révolte importante n’avait émaillé les chroniques de la ville et pendant les troubles du xvie siècle, la ville resta une place acquise au roi d’Espagne sauf pendant quelques mois de l’année 1578.

Douai était dirigée par un large Magistrat, classique dans les villes des anciens Pays-Bas, mais original par son mode de désignation. En effet, il n’était pas nommé par des commissaires du souverain, mais « élu ». Un collège de neuf électeurs choisis par les échevins sortant de charge procédait tous les treize mois à son renouvellement. Ainsi l’élite locale s’auto-désignait au grand dam des gouverneurs et plus tard des intendants qui ne cessèrent de fustiger la piètre qualité et les abus de ces échevins qui étaient moins que dans d’autres villes leurs protégés.

Les archives locales désignent sous l’expression de « notables bourgeois » les hommes qui avaient le droit de s’exprimer sur les affaires de la ville. Ce sont ces notables que l’auteur a essayé de cerner. Selon une démarche classique, il est parti du postulat que cette élite pouvait être assimilée aux hommes élus à l’échevinage. Partir d’un corpus clos comportait le risque d’aboutir à des résultats induits par la définition de départ. Mais il semblait plus aisé de commencer par identifier clairement les hommes qui avaient participé à la gestion de la ville pour ensuite voir à travers une pesée globale de la société douaisienne si ces limites correspondaient aux « notables » des textes.

La maîtrise des pratiques électorales de Douai a permis de faire émerger des listes de renouvellement de l’échevinage un corpus de 423 individus. Par un patient travail de nature prosopographique et généalogique, on a pu donner une certaine consistance à près des trois quarts du corpus. Les individus identifiés ont notamment été replacés dans leur réseau de parenté. La complexité des liens a nécessité le recours à un traitement informatique des données (logiciels Heredis et Puck). La base de données constituée a permis de prendre en compte l’ensemble des liens de famille et pas seulement le lignage qui structure les généalogies habituelles.

On a ainsi pu observer que le renouvellement constant des patronymes, phénomène observé à Douai comme dans la plupart des villes, ne correspondait pas à un réel renouvellement de l’élite. Si les dynasties scabinales étaient rares, l’homo novus, dont les ancêtres n’avaient jamais accédé aux honneurs scabinaux, était pratiquement toujours l’allié matrimonial d’une famille participant déjà à la vie politique. L’étude a même montré que les liens de parenté utérins étaient curieusement un peu plus structurants que les liens agnatiques. Globalement, l’appartenance familiale était clairement le premier facteur d’accès à l’échevinage et plus de 60 % des échevins avaient un parent ou un allié parmi leurs pairs. Cette densité est d’autant plus remarquable que les règlements limitaient la présence de parents ou d’alliés dans l’échevinage. La faiblesse des dynasties scabinales peut sembler paradoxale dans une structure où la parenté était fondamentale. Elle s’exprime par la structure de l’échevinage qui empêchait une patrimonialisation des charges et le faible sentiment lignager de la bourgeoisie douaisienne.

Maintenant une tradition héritée du Moyen Âge, les notables continuaient à se considérer comme un « monde des égaux ». Cette conception égalitaire de la notabilité est notamment visible dans la résistance aux prétentions de la noblesse à une certaine prééminence. Si la noblesse vit sa présence croître au moment des troubles du xvie siècle, l’échevinage resta majoritairement composé de marchands, de receveurs et de rentiers du sol aux intérêts mêlés. Cette composition tranche avec ce que l’on peut observer dans d’autres villes des Pays-Bas, notamment la métropole anversoise. Paradoxalement, c’est l’atonie économique de Douai qui maintint au pouvoir la bourgeoisie marchande en dépit des pressions du pouvoir souverain. En effet, la pesée globale de la société douaisienne montre la difficulté à trouver à chaque élection quarante-cinq personnes pour occuper les différentes charges à pourvoir. Ainsi, l’exigüité de la société locale explique que l’on trouvait encore au milieu du xviie siècle des artisans au sein du Magistrat, alors qu’ils avaient disparu dans des villes plus grandes ou dans des cités aux institutions moins étoffées.

La cohésion du « tout petit monde » des notables douaisiens explique la modération des mœurs politiques de la ville où tout semblait être fait pour éviter les conflits et le recours à la violence. Même la crise de l’année 1578 ne donna lieu qu’à une réaction mesurée des autorités catholiques. Si des bannissements et des exécutions furent prononcés, ils touchèrent peu les notables et, plus que les vrais responsables du coup de force, on préféra châtier des hommes aux marges de la société. Ces victimes expiatoires illustrent l’opposition entre le dedans et le dehors qui modelait les mentalités douaisiennes où l’extérieur était toujours synonyme de danger. Ville à la frontière de la France, Douai vivait depuis le xve siècle dans la hantise d’une attaque et son atonie économique et démographique renforçait ce sentiment. La structure de l’espace urbain concourait à la cristallisation de ce que l’on peut appeler une « mentalité d’assiégé ». En effet, l’enceinte érigée au début du xive siècle enserrait un espace encore partiellement bâti au xviie siècle et trop vaste pour être efficacement défendu.

Ce sentiment de fragilité poussait les autorités municipales à glorifier le passé et à croire à l’existence d’un lien spécifique avec le souverain. Douai devait rester la ville fidèle, cette fidélité étant vue comme le meilleur moyen pour défendre ses intérêts, c’est-à-dire conserver ses acquis. Plus qu’une adhésion inconditionnelle à la politique de fermeté de Philippe II, l’attitude des autorités douaisiennes pendant la révolte des Pays-Bas doit ainsi se comprendre comme la défense de la tradition et de l’idéal de la « bonne ville » que l’on entendait préserver dans un environnement hostile.

La cohésion des notables douaisiens leur avait permis de résister à la division religieuse et à la guerre civile du dernier tiers du xvie siècle. Mais dans les années 1650, la persistance de tensions au sein de l’échevinage montre que les bases du système étaient désormais ébranlées. Les décennies de guerre calamiteuse menée par l’Espagne contre la France à partir de 1635 eurent ainsi un impact plus important sur la société douaisienne que la révolte des Pays-Bas. C’est donc face à une élite fragilisée que le pouvoir français s’établit en 1667.

Compte rendu de la soutenance par Yves Junot

Philippe Guignet, professeur à l’Université de Lille 3 et directeur de cette thèse, indique sa grande satisfaction devant la conclusion de ce travail d’envergure réalisé par un enseignant agrégé du secondaire, auteur d’un travail remarqué publié en 1998, L’entreprise du duc d’Anjou aux Pays-Bas, 1580-1584 : les responsabilités d’un échec à partager. Le choix du titre de ce mémoire doctoral est un clin d’œil à l’ouvrage de David Lodge sur le (tout petit) monde universitaire. Les annexes sont bien composées et les biographies de ce monde échevinal occupent 197 pages de notices. L’auteur dresse tout d’abord le portrait d’une ville qui présente la spécificité d’avoir un échevinage élu, un modèle jamais remis en cause. Son économie fondée sur le commerce des grains s’étiole progressivement au début du xviie siècle sans tirer profit de l’« invasion conventuelle » qui marque le paysage urbain de la Contre-Réforme. La seconde partie, pièce maîtresse du mémoire, interroge le renouvellement et la composition du Magistrat, à partir de 110 listes d’électeurs. La reconstitution des familles échevinales s’appuie sur le patronyme, la densité d’occupation des fonctions mais aussi sur les liens de parenté passant par les femmes. Or ces liens utérins s’avèrent au moins aussi importants que les liens agnatiques. L’interprétation qui en est faite n’est pas exempte de prudence car l’auteur rappelle que le lien familial n’établit pas la vitalité du réseau. La dernière partie est consacrée aux élites dans leur environnement politique, en suivant une trame chronologique. Philippe Guignet loue la solidité de la démonstration, même s’il tient pour quelque peu sommaire la présentation des années précédant la conquête française.

Guy Saupin, professeur à l’Université de Nantes et rapporteur de la thèse, souligne le mérite de Frédéric Duquenne de proposer une analyse quantitative (réalisée par logiciels) et de développer la discussion concernant les réseaux familiaux. Il rappelle la spécificité des échevinages des anciens Pays-Bas : les 42 postes annuels douaisiens offrent des perspectives de carrière sans commune mesure avec ceux des villes du royaume de France, de taille plus modeste (4 à 12 personnes). Il existe quatre systèmes de contrôle de la régulation : la cooptation fermée (Douai, Bordeaux), la cooptation ouverte (Nantes), la situation médiane (Limoges) et la nomination par des représentants du pouvoir central (Lille). En dépit des modes de désignation différents, il existe une culture urbaine commune partagée par les élites de la ville et les représentants de l’État. Guy Saupin engage la discussion avec l’auteur sur les notions de famille, de réseau et de réseau familial. La statistique confirme que les liens générés par l’alliance sont plus importants que ceux apportés par la famille directe. Cependant, un individu a toujours la possibilité d’actionner un circuit ou l’autre ou de le laisser inerte. Guy Saupin rappelle que l’histoire sociale du politique s’est souvent enfermée dans une vision mécanique du rôle de la parenté sans révéler les motivations d’un engagement. En réponse, Frédéric Duquenne défend l’usage du « réseau familial » : la famille a indéniablement une dimension technique de réseau, le réseau familial étant un ensemble de connections actionnées ou non pour parvenir à un but. Et le cas, certes exceptionnel, de François Bretel, riche marchand de grains cautionnant les finances de la ville par sa fortune acquise lors de la guerre contre la France, montre que la famille peut ne jouer aucun rôle.

Michel Cassan, professeur à l’Université de Poitiers, loue la probité de cette histoire sociale du politique dans une ville sans gouverneur. Frédéric Duquenne a mobilisé plusieurs méthodes d’analyse pour étudier réseaux, familles, transmission des mandats, mais Michel Cassan regrette parfois la frilosité de certaines études de cas et des conclusions. Le cadre chronologique du mémoire (1559-1667) permet une étude sur le long terme des troubles politico-religieux de la Révolte des Pays-Bas ainsi que de la guerre avec une France tolérante vis-à-vis des protestants, dans une ville de l’ultra-catholicité et du refus de la diversité confessionnelle. Cette dimension spécifique marque la ville y compris dans sa capacité reproductrice, limitée par le grand nombre d’ecclésiastiques, d’étudiants de l’Université, de filles dévotes et veuves (un quart des 14 000 habitants dénombrés en 1682). Les questions de Michel Cassan portent sur les manifestations de la catholicité militante des élites douaisiennes, ainsi que sur leur conscience d’une histoire globale : les Ottomans, Elisabeth Ire ou encore les Indes espagnoles mis en scène lors de la Joyeuse Entrée des Archiducs en 1600 témoignent de cette vision globale du monde derrière la monarchie hispanique. Une autre interrogation a trait au dépérissement de la culture politique de la ville au xviie siècle. Une fissure apparaît dans les années 1580-1600 avec l’acceptation sous contrainte des volontés politiques, fiscales et militaires du souverain, au moment même où est creusé le canal de la Scarpe défavorable à la ville. Frédéric Duquenne montre que Douai est surtout victime d’une hiérarchie provinciale où Lille est plus à même de discuter avec le pouvoir central. Enfin, Michel Cassan revient sur l’étude de 18 portraits peints de la famille d’Aoust dont 2 seulement apparaissent en annexe et en recommande une analyse plus fine des symboles (armoiries) et des apparences (présence de barbe comme symbole d’autorité, modèle du courtisan avec fraise, gants et épée).

Catherine Denys, professeur à l’Université de Lille 3, revient, concernant les caractères généraux de la ville, sur le rôle d’officiers ou de corps en rapport étroit avec l’échevinage : le bailli, officier de justice membre de la petite noblesse (catégorie sous représentée chez les notables douaisiens), les étudiants et professeurs de l’Université (qui ne peuvent être bourgeois de statut, mais se marient avec les filles de notables) ou encore les militaires (de plus en plus nombreux au xviie siècle). Elle juge aussi l’analyse probante sur les usages de reconduction décalée des échevins laissant une marge de manœuvre pour les hommes entreprenants et souligne la stabilité des équipes y compris lors des troubles des années 1560, signe de l’impact de l’élection. La mort semble la principale forme d’interruption des carrières, ce qui fait se demander à Catherine Denys si le système municipal douaisien est une forme de gérontocratie : l’auteur a pu reconstituer l’âge d’un quart des échevins et constate que leurs carrières débutent à 30-40 ans. Les troubles des années 1560-1570 s’accompagnent à Douai de l’expulsion des calvinistes puis des patriotes ou encore des marchands de grain par ordre d’Alexandre Farnèse. Frédéric Duquenne apporte quelques éclaircissements sur ce point : le poids de la clientèle du gouverneur de la province, le très loyaliste Rassenghien, explique l’absence de basculement lors des événements de 1566, et seuls les plus obstinés sont chassés suite aux troubles.

René Vermeir, professeur à l’Université de Gand, porte ses remarques sur le système politico-administratif de cette partie de la Flandre souvent négligée par l’historiographie flamande, et en particulier sur les rapports entre le niveau local et le niveau central. Pourquoi le privilège local d’élection est-il confirmé par Charles Quint ? Les raisons de cette exception ne sont pas évidentes. Frédéric Duquenne rappelle le destin particulier de la Flandre wallonne, sous contrôle du roi de France au Moyen Âge, d’où l’évolution institutionnelle différente du reste du comté de Flandre. Le rôle des officiers du souverain dans la ville est réduit, mais la faible visibilité du bailli tient aussi au rôle majeur d’un autre officier nommé par le gouverneur de la province : le lieutenant de la gouvernance. L’absence des Douaisiens dans les conseils collatéraux de gouvernement des Pays-Bas contraste avec la place qu’y occupent les diplômés de Louvain : faut-il y voir un lien avec l’échec de la ville à défendre ses intérêts, notamment lors de la canalisation de la Scarpe qui est si défavorable à ses intérêts économiques ? Frédéric Duquenne suggère que les diplômés de Douai font probablement carrière au Conseil d’Artois ou dans d’autres institutions provinciales wallonnes.

Alain Lottin, professeur émérite de l’Université d’Artois, rappelle l’importance du contenu et les mérites du travail accompli, tout en recommandant une organisation moins fragmentée de la bibliographie. Il interroge Frédéric Duquenne sur divers points : le concept de ville-frontière qui s’applique à Douai de 1581 à 1595 (quand Cambrai est aux mains des Français) puis à partir de 1635 (avec la reprise de la guerre franco-espagnole), la procédure d’élection de l’échevinage (le cas de Douai n’étant pas unique puisqu’à Boulogne-sur-Mer dix électeurs de la ville haute et dix de la basse ville assurent la nomination du nouveau Magistrat), la difficile osmose entre la ville et l’Université à ses débuts (les rapports s’améliorant au xviie siècle lorsque l’Université perd son rayonnement international). Le calme apparent de la ville lors des troubles ne doit sans doute pas être autant relativisé, comme le montrent les correspondances des marchands en 1566 et le grand nombre de bannis après la réconciliation de 1579 (170 personnes), même si la plupart bénéficie d’un pardon rapide.

Après délibération, le jury salue la belle défense de thèse de Frédéric Duquenne et le déclare digne du titre de docteur en histoire avec la mention très honorable et avec les félicitations à l’unanimité.

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