Traditionnellement, deux approches du temps dominent dans les sciences de la culture : d'une part, avec Kant, on en fait une catégorie a priori, d'autre part, en suivant Durkheim, il s'agit d'un produit culturel propre aux sociétés. L'auteure, Anne Wallemacq, développe une autre voie considérant que la conception du temps est à la fois cause et produit d'une « définition de la situation » et d'une « définition de soi » qui se construisent dans l'interaction. Pour cela, elle se fonde sur deux entretiens avec Marie qui s'ennuie et Louise « l'agitée ».
Marie travaille à mi-temps et déclare s'ennuyer dans sa vie personnelle. Ses activités ne prennent pas sens et elle ne peut guère les qualifier que de « bêtes trucs ». Son temps apparait d'abord comme un temps perdu. Louise est tout l'inverse. Elle est attachée de presse et fait mille choses à la fois mais elle déclare être débordée et ne plus réussir à distinguer sa vie professionnelle de sa vie personnelle. Elle est la figure même de l'agitation et le temps lui paraît subi. Contrairement à ce que laisserait penser cette présentation, l'ennui et l'agitation ne sont pas des produits objectifs de la réalité mais résultent de l'incapacité de Marie et Louise de qualifier leurs activités.
Ennui et agitation caractérisent dons les vies respectives de Marie et Louise mais, dans un second temps, les choses changent quand chacune d'elles réussit à se définir en relation avec ses activités. Ainsi, quand Marie accepte de se définir comme « femme paresseuse » , ses activités reprennent sens et le temps peut enfin être restructuré. De son côté, il a été nécessaire pour Louise de se définir comme femme « active » et « indépendante » différente des « gens normaux ». Pour cela, elle a suivi le conseil consistant à noter systématiquement toutes ses activités dans un agenda.
Louise et Marie sont à deux pôles de la construction problématique du temps. Pour l'une, l'ennui provient de l'incapacité de différencier les activités les unes des autres (principe de différence ») ; pour l'autre, l'agitation provient de la difficulté à donner, une identité à chacune de ses activités (« principe d'identité ») et, conjointement à cette définition des activités sociales, se construisent aussi une structuration du temps et une « définition de soi ».
Mais cela ne suffit pas : le travail suivant de l'auteur consiste à montrer que la « réalité » se construit dans l'interaction, par la mise en concurrence de multiples définitions de la situation (et donc de « définition de soi ») qui sont les résultats d'autant de stratégies et d'enjeux de pouvoirs.
Cependant, pour que la réalité s'objective en une définition, il faut que cette définition prenne le pas sur les autres. La question devient de comprendre comment une définition s'impose aux autres.
On voit donc que symbolique et réalité se construisent ensemble et doivent être pensées ensemble. Le problème de Louise et Marie c'est que, pendant un temps, la définition de la situation qu'elles se donnent ne coïncide pas avec la définition objectivée par leur environnement.
Cela nous amène à la question de la réalité qui ne doit pas être envisagée comme une donnée objective s'imposant à l'individu mais comme se construisant au sein des interactions. La réalité est intersubjective. Les choses et les sens se construisent mutuellement.
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Anne Wallemacq
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